C'est probablement l'une des pires idées reçues qu'une mère entend régulièrement lorsqu'elle déclare vouloir allaiter, porter ou même masser, pratiquer l'hygiène naturelle ou mettre des couches lavables à son enfant : "Tu vas être esclave de cela ou de lui/elle", "tu ne pourras plus sortir", "tu vas te faire envahir/bouffer/manipuler", etc. Sous-entendu, "Femme, tu vas perdre ta liberté !" Alors d'où vient cette objection ou mise en garde de quasi l'ensemble de notre société (conjoints, familles, amis, médias, professionnels, collectivités, institutions, etc.) qui pourtant feront idem pour limiter la liberté des mères ?

Car, beaucoup renvoie ici a une vision archaïque de la maternité, ou plus précisément de ce qu'on nomme aujourd'hui le "maternage proximal" ; c'est à dire garder au plus près de soi l'enfant, en contact charnel et affectif son petit de sa naissance à ses premières années, en opposition au "maternage "distal" c'est à dire prônant la séparation rapide des corps mère-enfant, afin de prévenir leurs "dangereuses fusions" et soi-disant inévitable "complexe d’œdipe" freudien, intégrer précocement ce manque-désir-frustration avec en supplément la "nécessaire adaptation en collectivité" et donc quelque part aussi garder la main mise de l’État sur l'Individu. Voilà pourquoi ces remarques et craintes sont bien plus complexes à priori qu'il n'y paraît et surtout bien plus récentes que ce qu'on pourrait penser au départ.

La maternité subie et non choisie

Alors, certes, dans les siècles précédents "l’accommodement des enfants", comme on l'envisageait alors en Occident, n'avait rien à voir avec ce qui se pratique aujourd'hui. Déjà parce qu'affectivement beaucoup de femmes n'investissaient pas leurs grossesses comme maintenant, la mortalité mère-enfant étant déjà bien plus fréquente jusqu'au milieu du siècle dernier. Moins à cause des naissance à domicile, comme la plupart le prétendent encore, qu'à cause des très mauvaises conditions d'hygiène d'antan, d'asepsie (prévention), d'antisepsie (traitement) et de la désinfection des lieux publiques comme privés, ainsi que souvent d'une médiocre alimentation comme boissons et même conservation (aujourd'hui réfrigération, congélation, pasteurisation, stérilisation, lyophilisation...), surtout des laits animaux et autres produits laitiers ou frais.

En résumé, car le développement ici serait bien trop long, de multiples naissances plus ou moins fructueuses étaient davantage imposées que proposées et réellement choisies par les femmes, au sein des états comme des couples et familles, avec le poids ultra pesant des religions et régulières politiques natalistes post-guerres ; mais également à cause du peu de contrôle et régulation des naissances qu'elles avaient alors à leurs dispositions (contraception, avortement, stérilisation, etc.). Sachant que la liberté, le plaisir et la sexualité féminine ont toujours été pas ou peu écoutées, admises et surtout respectées dans la plupart des civilisations à travers l'Histoire. Il en valait autant de la traçabilité de la filiation masculine que de l'honneur, valeur et respectabilité des mères par rapport aux prostituées. D'ailleurs, l'esclavage sexuel des enfants, filles ou garçons, femmes ou hommes, n'étonnait guère personne à l'époque, même pas nos grands penseurs, artistes ou philosophes masculins qui s'en accommodaient d'ailleurs eux-même très bien !

Bref, la liberté des femmes, et encore moins des mères, n'a jamais été réellement et pleinement de mise dans des sociétés aussi patriarcales et machistes que les nôtres. Et pourtant la plupart des mères, surtout durant les guerres où nécessités, pouvoirs et valeurs s'inversaient alors, allaitaient, portaient, parfois même massaient et s'occupaient également des besoins d'élimination des plus petits ; ou du moins pour les plus riches d'entre elles laissaient-elles les plus pauvres le faire pour elles... Mais cela devait être fait et cela au mieux des connaissances, mœurs et pratiques culturelles de chaque famille et époque. Et, même si parfois, comme au XVIIème et XVIIIème siècle, se fut assez catastrophique surtout dans les classes nobles ou de hautes et petites bourgeoisies, dans l'ensemble le peuple de base, lui, gardait une image assez positive des mères qui maternaient souvent et longtemps leurs enfants. A l'exception donc évidemment de cet esclavage ou servitudes forcée et fréquents échanges de laits et services humains contre maigres salaires, aux détriments des propres enfants de ces nourrices "mercenaires", ou plutôt bien "misérables" et exploitées.

L'inversion des valeurs sur le maternage

C'est donc surtout après la Seconde Guerre Mondiale, vers les années 1950-60 en Occident, quand émerge alors à la fois les prémices de la libération sexuelle et professionnelle des femmes, l’hygiénisme et le féminisme de classes que l'image de cette maternité proximale s'est vue dénigrée et morcelée. Prenant alors le contre-courant des générations précédentes, parfois de façon trop catégorique et totalitaire, les premières féministes ont tenté de soustraire leurs consœurs aux pouvoirs patriarcales, dogmes religieux et autres lois sociales sexistes. Cependant, elles ont omis, plus ou moins volontairement d'ailleurs, de se battre aussi pour les droits des mères (naissance respectée, allaitement court ou long et autres méthodes de maternages ancestrales à retrouver et non à juger comme "archaïques"). Ainsi, ont-elles laissé comme traces indélébiles dans l'esprit des générations de mères et grands-mères actuelles (cf Mme Badinter) que ce type de "maternage proximal" allait simplement à nouveau "renvoyer les femmes à leur foyer, surtout si bobos écolos, couches lavables, machin !"

Et pourtant il n'en est rien, puisqu'au contraire la jeune génération de femmes occidentales se rend bien vite compte, en les pratiquant ensemble ou séparément, qu'à l'image de leurs consœurs africaines, amérindiennes, asiatiques ou autres, et passées les délicates "mises en route" et nécessaires périodes d'apprentissage et adaptation, plus elles pratiquent ce type de maternage proximal longtemps et souvent et plus cela leur facilite ensuite leur quotidien, voir leurs professions pour certaines. Rappelons d'ailleurs que dans tous les autres pays du monde, les femmes travaillent dehors et s'occupent quand même de plusieurs petits et grands enfants en même temps, même si cela se fait le plus souvent en groupe à la différence d'ici. C'est donc bien plutôt de d'entre-aide et solidarité féminine dont les femmes occidentales ont besoin à nouveau et non de conseils-consignes et autres réflexions infantilisantes ou contraintes sociales épuisanted, travaux ingrats dévalorisés désormais comme celui de "mère au foyer" ou de "nounous" (pas du tput ou mal payés), avec toutes ces charges mentales, ménagères et familiales exclusives ou quasies exclusives encore, etc.

Solidarité et plénitude

On voit bien désormais que cette vision plus valorisante, "moderne et libérale" du biberon et maternage distal contre "l'antique" maternage proximal au sein, ne repose en fait sur aucun fondement, ni ethnique, ni historique, ni économique et encore moins écologique et démocratique. Car la liberté des femmes et surtout des mères n'existe toujours pas réellement dans nos sociétés occidentales, malgré certains emplois plus passionnants pour certaines categories de femmes avec du coup, certes, des comptes bancaires personnels plus garnis aussi mais pas pour toutes... Car si l'autonomie financière des femmes aide bien à l'inversion d'une forme de domination sociale, familiale et professionnelle des hommes sur les femmes, cela ne suffit pas à elle seule à leur accorder davantage de droits, égalités ou libertés en tout. En réalité, tant que les femmes comme les hommes ne s'accorderont toujours pas mieux pour gérer de façon équitable et équilibré leurs responsabilités et tâches quotidiennes et n'auront surtout pas davantage de temps à consacrer à leurs progénitures, que ce soit avant, pendant comme après leurs naissances, alors ils ne seront ni libres, ni égaux, les un(e)s avec les autres.

Au contraire, pour être bénéfique à tous et toutes et selon les choix et situations de chacun(e), une nouvelle forme d'alternance, de complicité et d'entre-aide devrait plutôt naître au sein des couples, familles et amis pour permettre aux mères, lors de cette transition quasi mystique ou du moins initiatique entre leur statut de femme et de mère, de pouvoir pleinement s'épanouir dans une sorte de plénitude féminine, une nouvelle "féminitude"